Tama Media Logo
Chargement des dernières actualités...
Actualités

« La démocratie ivoirienne promise à une nouvelle défaite dans les urnes »

24 octobre 2025
7 min de lecture
144 vues
« La démocratie ivoirienne promise à une nouvelle défaite dans les urnes »

Opinion - À un jour de la présidentielle du 25 octobre en Côte d’Ivoire, deux chercheurs spécialistes des dynamiques de violence électorale, Sebastian van Baalen et Jesper Bjarnesen, estiment que le scrutin s’annonce comme une nouvelle « défaite pour la démocratie ». Avec un président sortant en quête d’un quatrième mandat et une opposition neutralisée, ils dénoncent l’indifférence de la communauté internationale face à une "dérive autoritaire désormais assumée".

La démocratie ivoirienne s’apprête à subir un nouveau revers lors du scrutin présidentiel du 25 octobre. Le président sortant, Alassane Ouattara, brigue un quatrième mandat et, ses deux principaux adversaires – Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam et Pascal Affi N'Guessanayant été écartés de la course, sa victoire ne fait aucun doute. Pourtant, alors que les observateurs et les militants prodémocratie alertent depuis longtemps sur la dérive autoritaire du pays, la France, l’Union européenne et la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) gardent un silence assourdissant, laissant la démocratie mourir dans les urnes. Nous sommes des chercheurs spécialisés dans les dynamiques de violence électorale et de violence post-conflit, avec un accent particulier sur la Côte d'Ivoire.

Pour nous, bien avant le jour du vote, l’élection présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire constitue déjà une défaite pour les principes démocratiques. Nous en expliquons ici les raisons.

Par Sebastian van Baalen - Associate Senior Lecturer, Uppsala University et

Jesper Bjarnesen - Senior researcher, The Nordic Africa Institute

Capture constitutionnelle

Alassane Ouattara a déjà remporté trois scrutins présidentiels. Le premier, en 2010, a été entaché de violences électorales massives et d’une reprise du conflit armé qui a fait plus de 1 500 morts. Apparu en 2002, le conflit ivoirien avait fait près de 10 000 morts mais était en sommeil depuis un accord de paix de 2007. Le second, en 2015, s’est appuyé sur une large coalition qui s’est ensuite disloquée. Le troisième, en 2020, s’est soldé par un boycott violent de la part de l’opposition.

Les accusations de « capture constitutionnelle » se sont depuis multipliées et, fait rare, l’opposition pourtant fragmentée fait bloc pour dénoncer la candidature du président à un quatrième mandat.

En août dernier, Alassane Ouattara a officialisé sa candidature à un nouveau mandat de cinq ans. Comme en 2020, l’opposition a aussitôt condamné cette décision, tandis que la communauté internationale s’est montrée remarquablement silencieuse. Le camp présidentiel soutient que la révision constitutionnelle de 2016 aurait « remis les compteurs à zéro » et lui permettrait donc de briguer un second mandat sous le régime de la nouvelle Constitution.

Ses adversaires affirment au contraire que la limite est d’un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, et que les troisième et quatrième candidatures de Ouattara constituent un coup de force constitutionnel, phénomène bien connu sur le continent.

Quelle que soit l’interprétation juridique, cette nouvelle candidature représente un recul majeur pour la démocratie, porté par un dirigeant qui, déjà avant le scrutin de 2020, affirmait que la politique ivoirienne avait besoin d’un profond renouvellement générationnel.

Un terrain biaisé

Au-delà du principe de limitation à deux mandats, l’élection de 2025 mine la démocratie ivoirienne parce qu’elle se joue sur un terrain largement biaisé en faveur du pouvoir en place. En septembre, le Conseil constitutionnel a invalidé les candidatures des deux principaux opposants, Tidjane Thiam et Pascal Affi N’Guessan, pour des raisons techniques. Tidjane Thiam, nouveau chef du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) – le plus ancien parti du pays – était perçu comme le seul capable d’inquiéter le président sortant. Il a été écarté au motif que la renonciation à sa nationalité française aurait été finalisée trop tard.

Quant à Affi N’Guessan, héritier du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo après l’inculpation de ce dernier à la Cour pénale internationale, il a été disqualifié au motif qu’il n’aurait pas réuni le nombre de parrainages requis. Qu’il s’agisse d’une négligence de leur part ou d’un verrouillage bureaucratique orchestré par le pouvoir importe peu : l’absence des deux principaux candidats jette une ombre inquiétante sur le scrutin de 2025.

Dans un climat politique déjà polarisé, marqué par des rumeurs de corruption et la contestation des pratiques controversées d’Alassane Ouattara, une telle compétition tronquée ne fait qu’approfondir les fractures entre le pouvoir et l’opposition, et accentuer la désillusion des électeurs. Cette polarisation et ce désenchantement risquent d’engendrer de nouvelles violences, menace récurrente dans un pays où les élections sont souvent entachées d’affrontements.

Pour parachever ce tournant autoritaire, le Conseil national de sécurité a interdit les rassemblements publics, invoquant des raisons de sécurité. Les autorités cherchent manifestement à prévenir un scénario similaire à celui de 2020, lorsque l’opposition avait appelé à la « désobéissance civile ». Des affrontements entre manifestants, forces de l’ordre et communautés rivales avaient alors fait au moins 83 morts et plus de 600 blessés. Cependant, interdire les manifestations peut facilement produire l’effet inverse, et l’opposition appelle déjà à manifester chaque jour pendant la courte campagne électorale.

Le silence de la communauté internationale

Malgré cette triple atteinte à la démocratie, la réaction internationale reste au mieux timide. Alassane Ouattara demeure le chouchou des partenaires étrangers, notamment la France et l’Union européenne. Depuis son arrivée au pouvoir, il a présidé à une croissance économique record sur le continent, lancé d’importants projets d’infrastructures, et mené la Côte d’Ivoire à une victoire inattendue lors de la Coupe d’Afrique des Nations à domicile, en 2024. Sa popularité auprès des dirigeants européens s’est encore renforcée à mesure que l’influence française s’effondrait dans ses anciennes colonies.

Ouattara est désormais l’un des rares chefs d’État ouest-africains à maintenir des relations diplomatiques avec Paris « comme si de rien n’était ». Craignant d’attiser un nouveau vent d’hostilité anti-française, Paris reste muet face au démantèlement progressif de la démocratie ivoirienne. L’Union européenne, quant à elle, lui emboîte le pas, ne sachant toujours pas définir une politique régionale indépendante du leadership implicite de la France.

Ironiquement, le silence de la France et l’Union européenne face à la dérive autoritaire de Ouattara sapent leur propre crédibilité. Les accusations de double standard et d’hypocrisie quant aux principes démocratiques nourrissent précisément la rhétorique anti-française de dirigeants comme le capitaine Ibrahim Traoré, à la tête du Burkina Faso. En se taisant face à la lente agonie de la démocratie ivoirienne, les dirigeants occidentaux affaiblissent encore leur position en Afrique de l’Ouest.



La Cedeao dans l'impasse

La Cedeao se trouve quant à elle dans une impasse pareille, en se taisant face aux tendances autocrates du président ivoirien et de son gouvernement. Toujours ébranlée par le retrait de trois États sahéliens dirigés par des juntes militaires, l’organisation régionale compte désormais sur la Côte d’Ivoire et le Nigeria pour préserver sa légitimité. Dans ce contexte, il est peu probable qu’elle prenne une position ferme sur la candidature de Ouattara ou sur les irrégularités électorales.

À l’approche du scrutin, de nombreuses zones d’ombre subsistent. Des coalitions se forment entre les candidats encore en lice, tandis que certains exclus s’allient pour créer un « front commun » réclamant leur réintégration et appelant à descendre dans la rue. Les manifestations s’intensifient : plus de 200 personnes ont été arrêtées, le 11 octobre, lors d’un rassemblement pacifique à Abidjan.

Si la contestation populaire n’a pas réussi à faire fléchir le pouvoir en 2020, les exemples récents de Madagascar et du Kenya montrent que les régimes qui ignorent la soif populaire de changement le font à leurs risques et périls.

Quelles que soient les péripéties des dernières semaines de campagne, la démocratie a déjà subi un revers majeur en Côte d’Ivoire. Avec une quatrième victoire de Ouattara annoncée, la question la plus pressante n’est sans doute pas le résultat du vote d’octobre, mais les séquelles durables qu’il laissera sur la vie politique du pays.

À plus long terme, le président sortant, l’opposition et la communauté internationale partagent la responsabilité de préparer une transition pacifique et constitutionnelle vers l’ère post-Ouattara – dans l’espoir que la démocratie ivoirienne puisse se relever et qu’une nouvelle génération des politiciens puisse diriger de manière pacifique et non polarisante.

Cet article a d'abord été publié sur The Conversation. Lire l'original

Commentaires (0)

Veuillez vous connecter pour laisser un commentaire.

Soyez le premier à commenter !